mardi 14 août 2012

Enfants Roms: l'autre tweet de Valérie


@Valtrier

Je m’appelle Marcel et j’ai 7 ans. Je fais partie des 900 Roms de Lyon que monsieur Valls a décidé de jeter à la rue en application de décisions de justice dont je ne conteste nullement la légalité mais dont je voudrais porter à votre connaissance l’inhumanité.

Je pensais tout d’abord vous envoyer moi aussi un tweet, mais devant tout ce que le gouvernement et la police nous font subir en ce moment, je n’ai pas pu me limiter à 140 caractères et je vous prie de m’en excuser. J’ai donc décidé de vous écrire une lettre. Si tout cela continue, c’est un livre que je vous enverrai.

Il y a quelques mois, j’ai lu un de vos tweets, ou plutôt deux. Je ne veux pas vous parler de celui qui a fait les premières pages alors qu’il aurait dû être oublié mais plutôt de celui qui a été oublié alors qu’il aurait dû faire les premières pages.

Vous avez écrit : « Rapport de l'Unicef: 10% d' enfants pauvres en France. Une information qui mériterait l'indignation et la Une. Pas la banalisation. »

Tout d’abord, je voulais vous remercier pour l’attention que vous portez aux plus démunis et particulièrement aux enfants pauvres. Je voulais aussi vous signaler que selon ce même rapport de l’Unicef, le taux de pauvreté qui frappe les enfants en Roumanie n’est pas de 10%, mais de … 76%. (1) Vous comprenez sans doute pourquoi mes parents ont décidé un jour de tout quitter pour venir s’installer en France. Qu’auriez-vous fait à leur place ? Vous seriez restée en Roumanie ou vous auriez décidé de partir dans l’espoir de donner une vie meilleure à vos enfants ?

Une vie meilleure… Quelle utopie… Depuis quelques jours, c’est un véritable enfer que je vis avec ma famille.

Mardi matin, j’ai été expulsé « d’un campement insalubre » en application d’une décision de justice. Je ne sais pas pourquoi cette expulsion a eu lieu au mois d’août. Le jugement et le commandement de quitter les lieux ont été notifiés au mois de mai. De mauvaises langues disent que monsieur Valls a attendu le milieu de l’été pour expulser tout le monde en même temps dans l’espoir que cela passerait inaperçu.

Toute la journée, nous avons dû marcher parce que la police nous empêchait de nous reposer et de poser nos affaires. « Ce sont les ordres » disait le chef de la police. Une voiture de policiers en civil nous a suivis partout. On s’est sentis traqués comme des bêtes. Le soir, nous avons trouvé un endroit au milieu de nulle part. Il y avait déjà des Roms qui venaient d’un autre campement expulsé. Nous avons construit des abris de fortune avec des bouts de bois et des branches. La nuit je n’ai pas dormi. J’avais peur. Il y avait beaucoup de bruits étranges. Avant nous, il y avait d’autres animaux qui occupaient cet endroit. Ils ne devaient pas être très contents que nous soyons ici. Plus personne ne veut de nous.

Le lendemain matin, des policiers en civil sont venus nous dire de partir. Nous avons dit que nous avions le droit de rester parce que les premières personnes étaient arrivées ici il y a une semaine. Le chef de la police à appelé quelqu’un au téléphone et puis au bout d’une heure, il nous a dit que non, qu’il fallait partir tout de suite ou alors qu’il appellerait des renforts. Nous avons refusé. Des dizaines de CRS sont arrivés. Ils nous criaient dessus: « Dégage », « Retourne dans ton pays », «Si ça ne tenait qu’à moi, je les mettrais tous dans un train et direction, la Roumanie ». Je ne comprends pas pourquoi ils nous parlent comme ça. Mon pays c’est la France, je vais à l’école, je parle français et je n’ai jamais mis les pieds en Roumanie.

Nous avons marché une bonne partie de la journée avant de nous reposer dans un parc. La police nous surveillait mais elle nous a laissé un peu de répit. Le soir, ils sont revenus nous dire qu’on ne pouvait pas rester là. Nous avons demandé où il fallait aller, ils nous ont dit qu’ils ne savaient pas. Que les ordres, c’était de nous faire partir ou alors ils allaient encore appeler les policiers en noirs qui veulent nous mettre dans des trains. Alors nous sommes partis, nous sommes retournés au même endroit que la veille… Tout cela n’a pas de sens, on tourne en rond.

Quelqu’un que vous connaissez très bien avait écrit qu’il n’y aurait plus d’expulsions de campements de Roms sans propositions de relogement. (2) Je ne demande même pas un relogement. Je demande juste qu’on me traite comme un être humain et non pas comme un animal.

Alors, voilà la situation, Madame.

Cela fait 5 jours que nous n’avons pas dormi. Nous n’avons plus rien à manger et plus rien à boire. Ma maman a la main toute gonflée suite à la morsure d’un animal. J’ai des boutons sur tout le corps à cause des piqûres d’insectes.

Cela fait 5 jours que personne ne s’est lavé et que nous portons les mêmes habits. Ma sœur vient de faire une infection urinaire et nous devons l’emmener à l’hôpital. Elle pleure tout le temps tellement elle souffre.

Cela fait 5 jours que la police nous chasse, nous traque, nous empêche de nous reposer le jour et nous réveille tous les matins en nous criant dessus.

La police dit qu’elle applique les ordres, le préfet, monsieur Carenco dit qu’il applique les ordres. Personne n’est responsable, tout le monde applique des ordres. Mais qui donc donne les ordres ? Qui peut donner l’ordre barbare de pourchasser ainsi nuit et jour des êtres humains ?

On me dit souvent que je ressemble à Gavroche. Si vous ne dites pas à celui qui partage votre vie tout ce qu’on nous fait subir, je chanterai partout :

Je ne suis pas notaire, je suis petit oiseau, joie est mon caractère, misère est mon trousseau,
Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Trierweiller,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à Carenco

Aidez-nous, Madame, aidez-nous, je vous en supplie. Ils sont devenus fous, ils sont en train de nous tuer.


Source : Mediapart